Dans son nouvel ouvrage, le pianiste, compositeur, dramaturge et auteur Jean-Louis Bachelet nous dévoile les codes secrets de nombreux chefs-d’œuvre de la musique classique, des premières notations musicales retrouvées dans une grotte préhistorique au pouvoir extatique des œuvres de Scriabine.
Si l’on peut affirmer que la musique fait partie de la vie de l’être humain depuis la nuit des temps, les professionnels ont recours à des moyens mnémotechniques pour les assimiler, les retenir et les transmettre.
Jean-Louis Bachelet nous dévoile les petits secrets des nombreuses pièces et de leur compositeur, nous démontrant ô combien la relation que le public a à la musique est différente. Ce livre a pour vocation d’être une réflexion sur ce qu’est le secret de la musique et sur son caractère mystérieux. Si secret il y a, cela augmente cette dimension mystique que l’agencement des notes a sur l’humanité. “Le vrai secret c’est celui qui éclaire”.
Au commencement
Jean-Louis Bachelet remonte aux premiers hommes et aux musiques archaïques. Les grottes préhistoriques apparaissent comme les témoins des pratiques musicales par la présence de points rouges sur les murs.
Ces points ont fait l’objet de tests et d’hypothèses pour se rendre compte qu’ils présentent une résonance particulière, comme une partition pour le chamane. Le chant fait partie intégrante des relations des hommes au monde. Il est l’expression naturelle de l’homme et sa dimension sacrée le lie également au monde animal.
Cela se retrouve même dans les dynasties les plus fascinantes tels que les Coptes, en Egypte. Dans leurs tombeaux, on a retrouvé des poèmes avec une rythmique, un accent et un intervalle particulier.
Ces bas-reliefs laissent penser que les poèmes ont pu être chantés mêmes à l’époque antique. Ces chants sont des reprises de matériaux déjà existants et prolongés. Au développement du christianisme, la transfiguration avec les cultures qui l’ont précédé est la norme. La transmission chantée se veut d’une incroyable fidélité dans la tradition, et permet de voyager dans le temps. “La Beauté lorsqu’elle s’incarne a quelque chose de l’éternité”.
Entre Grèce et Occident savant, une histoire de chiffres
Impossible de parler musique sans mentionner Pythagore, homme rompu à tous les exercices et qui a voulu comprendre le cosmos dans sa vision globale.
Dans une Grèce obsédée par les chiffres parfaits, Pythagore a décidé de faire un parallèle entre les volumes parfaits et la perfection du monde à la lumière des chiffres 1,2,3,4. Ainsi est découverte la première gamme musicale à l’aide d’une corde de lyre coupée.
Si elle présente un léger décalage, appelé quinte du loup, les compositeurs médiévaux vont en faire l’objet de leurs travaux. La musique monodique, signature de toute la musique archaïque va voir sa construction complètement bouleversée. L’idée : relever ce décalage d’un demi-ton pour avoir une uniformisation de la gamme.
Cette avancée permet la mise en place du système polyphonique. Source inépuisable des œuvres de Bach, cela a permis l’ouverture vers une richesse inconnue jusque-là. L’œuvre de Bach aussi immense qu’elle soit, cache un secret. Celui-ci réside dans le lien fort avec les fondamentaux du domaine chrétien.
Bach devient un théologien par la puissance de la musique. L’intervention de l’Eglise dans la musique se produit plus d’une fois. Cette histoire liée entre les sons et le sacré va connaître un tournant grâce à Guillaume de Machaut qui va s’interroger sur la part de l’homme et de l’humanité dans la liturgie.
Véritable cataclysme historique, de Machaut va mettre au point un système qui va faire partie de l’ars nova en tricotant entre tradition grégorienne et tradition profane. Le triton, nom de l’intervalle de quarte augmentée.
Le terme « triton » vient du fait que cet intervalle fait exactement trois tons. Lorsqu’on le multiplie par deux, on arrive à un intervalle parfait, si on le divise on se retrouve à un chiffre parfait. Cette perfection a rapidement été associée au diable et dès lors, interdit.
La musique qui devait être une purification du cœur se transformait en instrument de séduction que l’Eglise voyait comme perverse. Dans cette optique, Paganini fut appelé « l’instrumentiste du diable », bouleversant les sens et l’âme.
Beethoven et Mozart : compositeurs de l’âme humaine
Beethoven, créature de la Révolution française et du romantisme. L’homme en vient à se débarrasser de Dieu et Beethoven avait la certitude que son art était destiné à sauver le monde. Dans l’œuvre du compositeur, il y a une volonté de puissance, la musique revêt une vocation de salut et d’anti-destin. Beethoven est celui qui apporte la Lumière, comme Mozart avant lui.
Mozart, musicien le plus universellement connu, musicien enfant et franc-maçon, est présenté comme le père de tous les musiciens. Sa musique est comprise avec un certain nombre de codes, elle est la clé pour accéder à des énigmes extraordinaires.
L’éloge du mystère se retrouve dans le travail de plusieurs compositeurs : Schumann, Wagner, Chostakovitch, Debussy, Ravel. Scriabine comprend cet ésotérisme musical et voulait reprendre le flambeau prométhéen de Beethoven en l’impliquant dans un art total (odeur, touché, visuel).
Le secret de la musique, au-delà de bouleverser les cœurs, possède la capacité d’élan prophétique. En 1942, lorsque la 7e symphonie de Chostakovitch résonne dans les rues de Leningrad, les soldats allemands sur le territoire russe avaient senti que leur guerre était perdue.
La musique, finalement, permet d’être saisi de façon à pouvoir comprendre le monde.
R.I.